Responsabilité décennale

Principe

Les constructeurs d’un bâtiment (architecte, bureau d’étude, entrepreneurs), liés par un marché avec la commune doivent supporter pendant dix ans après la réception (en règle générale) une obligation de garantie concernant les désordres qui compromettent la destination ou la solidité du bâtiment (la juridiction administrative applique ici les principes issus des articles 1792 et 2270 du code civil). S’il est heureusement assez rare que la solidité de la construction soit compromise, il est beaucoup plus fréquent que l’utilisation de l’ouvrage conformément à sa destination soit remise en cause, en fonction de la nature des désordres et de leur lien avec l’affectation du bâtiment.
Les constructeurs ne peuvent être condamnés que dans la mesure où les désordres leur sont imputables (des désordres affectant la charpente ne seront pas imputables à l’électricien…), à eux-mêmes ou à leurs sous-traitants (C.E. 12 juillet 1995, Chemetov et Deroche, req. 118640, Rec. Leb. p. 905). Si la commune est intervenue à mauvais escient dans la conception ou l’exécution du bâtiment ou ne l’a pas correctement entretenu, une partie des désordres peut être laissée à sa charge.

Jurisprudence

– Désordres de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs :

1°) – si un décollement de carrelages n’est pas considéré la plupart du temps comme relevant de la garantie décennale, un tel décollement survenant dans le réfectoire d’un établissement scolaire a été jugé, en fonction de cette affectation particulière du bâtiment, comme ayant une incidence certaine sur le fonctionnement de la cantine et donc susceptible de compromettre la destination du bâtiment.
(C.E. 9 octobre 1989, Syndicat intercommunal des établissements secondaires et techniques de Grenoble Est, req. 67858).

2°) – des désordres affectant le “clos” ou le “couvert” (infiltration relativement importantes d’eau par le toit ou les fissures des murs) sont de nature à engager la responsabilité des constructeurs. Tel a été le cas pour un bâtiment construit pour la ville du Mans, mais une partie de la responsabilité a été laissée à la charge de la ville qui avait incité au choix d’un matériau de couverture difficile à mettre en oeuvre et dont les services techniques, qui assuraient la maîtrise d’oeuvre de l’ouvrage, n’avaient pas surveillé avec une attention suffisante l’exécution des travaux.
(C.E. 24 janvier 1990, S.A. de la Boudinière, req. 65124).

3°) – prolifération d’un champignon lignivore ayant entraîné le pourrissement du bois de menuiserie, dont la cause réside dans les modalités techniques de l’incorporation des menuiseries aux éléments préfabriqués et l’absence de traitement fongicide, insecticide et hydrofuge. Responsabilités de l’entreprise et de l’architecte.
(C.E. 15 janvier 1992, Perbet, req. 62302).

4°) – piscine présentant des désordres liés aux dégâts de la charpente, à la détérioration des siphons, aux fuites sous le plongeoir, à des fissurations, à des défectuosités de l’installation électrique et à des défauts de maçonnerie extérieure d’une gravité suffisante pour rendre l’ouvrage impropre à sa destination et engager la responsabilité des constructeurs.
(C.E. 17 février 1992, Hess, req. 49850).

5°) – installation de chauffage et de climatisation d’un l’hôtel de ville compromettant l’utilisation normale des locaux et les rendant impropres à leur destination.
(C.E. 11 décembre 1991, ville de Bobigny, req. 31309).

6°) – pourrissement des bois des “estrades” destinés à supporter les pièces exposées dans un “musée des fromages”, provenant d’une forte imprégnation par l’eau des murs du bâtiment. Dans les circonstances de l’espèce, la destination du bâtiment est compromise.
(C.E. 22 mars 1991, Syndicat mixte du parc naturel des volcans d’Auvergne, req. 89502).

7°) – infiltrations d’eau par des panneaux translucides de la toiture de nature à engager la responsabilité des constructeurs, alors même que les travaux nécessaires ne représenteraient qu’une faible partie du coût de la construction.
(C.E. 22 février 1991, Société nouvelle de construction Quillery, req. 43650).

8°) – défaut d’isolation thermique rendant certains logements impropres à leur destination. Condamnation des constructeurs à refaire l’ensemble de l’isolation, étant donné l’évolution prévisible des désordres et leur extension à tous les appartements.
(C.A.A. de Paris 7 octobre 1993, Holley et société G.A., req. 92PA00907, Rec. Leb. p. 882).

9°-a) – frais de réfection intérieurs rendus nécessaires par des fissures infiltrantes affectant les façades et les murs pignons.
b) – panneaux de murs extérieurs ayant un coefficient de transmission thermiques supérieur à 2, entraînant moisissures, condensation et ponts thermiques (même si contractuellement le coefficient ne devait pas dépasser 1,30).
(C.E. 25 novembre 1994, O.P.H.L.M. de la communauté urbaine de Strasbourg, req. 57029).

10°) – défaut d’étanchéité de la toiture entraînant d’importantes condensations et infiltrations d’eau à l’intérieur d’une salle des fêtes. Si des infiltrations s’étaient déjà produites au moment de la réception, ni l’étendue ni la gravité des désordres n’avaient pu apparaître au maître de l’ouvrage, si bien que les désordres ne pouvaient être considérés comme apparents à ce moment.
(C.E. 24 mars 1995, S.A. établissements Weisrock, req. 89654).

11°) – désordres affectant des éléments dissociables du bâtiment, mais rendant l’ouvrage impropre à sa destination : en l’espèce, pompe d’exhaure d’une installation géothermique.
(C.A.A. de Paris 23 avril 1992, société d’assurance la Commerciale Union et S.A. Cafreth, Rec. Leb. p. 521).

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